La rose des sources by Lise Bédard

Auteur:Lise Bédard [Bédard, Lise]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Québécois
Éditeur: Édition du Vermillon
Publié: 2011-04-01T04:00:00+00:00

Durant la première quinzaine de mars, elle reçut des nouvelles qui la chagrinèrent. Madame Clara allait de plus en plus mal. Le docteur Smith avait fait appel à son collègue, le docteur Pattee. D'un commun accord, afin de soulager ses douleurs, ils avaient prescrit de la morphine. Or, ce médicament provoquait des hallucinations chez la patiente. Madame avait déclaré :

— Je veux garder ma tête sur les épaules jusqu'à mon dernier souffle. Ma vieille carcasse est encore capable de se battre dignement. Je prendrai plutôt un verre de scotch, n'est-ce pas Louis ?

Michael ignorait que Clara avait convoqué son notaire, afin de lui faire part de changements dans ses dernières volontés, en accord avec son époux. Elle s'était mise en paix avec Dieu, lors de la dernière visite de monsieur le curé. C'est donc sereinement qu'elle sentait les ombres fugitives de la grande faucheuse rôder autour d'elle. Elle emporterait dans la tombe le regret de laisser son homme seul. Ils étaient si unis; jamais un seul jour l'idée d'une vie sans ce compagnon attentif et bon ne l'avait effleurée. Aucun enfant n'était venu égayer leur foyer, du moins c'est ce que tous croyaient. Elle ne s'en était pas consolée. Quand Michael était arrivé à L'Orignal, sage et taciturne, après le décès des deux figures mâles les plus chéries de sa jeune vie, elle l'avait pris en amitié.

Elle le voyait souvent, puisqu'il habitait presque en face de la prison. Il avait pris l'habitude de leur rendre de menus services. Elle s'était ennuyée de lui durant la période de ses études à Ottawa.

Ce soir-là, le juge semblait épuisé par les nombreuses veilles. Clara lui glissa :

— Allez marcher un peu, mon ami. Ne craignez rien, je ne partirai pas en votre absence. Michael me tiendra compagnie. Allez, allez, je vous chasse.

Pourtant, quand elle sommeillait, elle souffrait d'ap-née. On se demandait toujours si la prochaine inspiration viendrait. Ses yeux étaient cerclés de cernes bleuâtres et ses veines saillaient de ses mains amaigries.

Une fois son mari parti, elle fit signe à Michael d'approcher sa chaise. D'une toute petite voix, la figure pâle sur son oreiller blanc, elle murmura :

— Michael, vous avez été pour moi le fils qui est mort aussitôt arrivé. C'est un douloureux secret. J'ai été heureuse de vous voir si près de nous. Cette Rose que vous aimez, ne la laissez pas vous échapper. Vous êtes un garçon remarquable et honorable. L'amour et le support mutuel, voilà ce qui compte dans un couple.

J'ai bien recommandé à mon mari de vous aider. Je veillerai sur vous deux. Je vous laisse un tout petit héritage en attendant.

Le surlendemain, Rosie reçut un télégramme : Madame Clara est décédée vers minuit, dans la nuit du 17 mars, entourée de ceux qu'elle aimait. Grand chagrin. Michael.

« Maudite incapacité des femmes de se libérer du carcan qui les étouffe. Je voudrais tellement prendre le train, assister aux funérailles. Un jour je me libérerai.

Je n'ai que vingt ans. »

Elle fit part à sa mère du décès de l'épouse de monsieur le juge.

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